Virginie STAETZEL

Mémoire de Maîtrise (1994-95)

Contribution à l’étude du WOULD dit fréquentatif

Article de référence :
Travaux collectifs du séminaire de Janine Bouscaren,
Cahiers de recherche en grammaire anglaise, Tome 1
« Le WOULD dit fréquentatif »

INTRODUCTION

Dans la plupart des grammaires, l'étude du WOULD dit fréquentatif est séparée de l'étude générale de WOULD. Ainsi, dans La grammaire anglaise de l'étudiant de Berland-Delépine, le WOULD fréquentatif n'est que succinctement évoqué dans le chapitre consacré à WOULD ; il est ensuite traité d'une manière toute aussi rapide dans le chapitre sur l'aspect fréquentatif et sur USED TO.

Le sort réservé au WOULD fréquentatif dans les grammaires laisse à penser qu'il est d’un emploi rare. Or, une simple lecture des principaux journaux britanniques prouve que, sans être omniprésent, ce WOULD n'est pas rare .

Cette « injustice » est soulignée par J. Bouscaren et al dans notre article de référence : le WOULD dit fréquentatif est trop souvent considéré comme un prétérite un peu particulier plutôt que comme un modal. Cependant, et c’est ce que J. Bouscaren et al démontrent dans cet article, le WOULD dit fréquentatif, par sa signification et ses valeurs, fait bien partie du système des auxiliaires modaux et ne peut donc être séparé des autres emplois de WOULD.

En s’appuyant sur la théorie de Culioli, et après avoir succinc-tement rappelé le fonctionnement des auxiliaires modaux, J. Bous-caren et al analysent les valeurs des WOULD conditionnels ou modaux, puis montrent que l’on retrouve des valeurs identiques dans le WOULD dit fréquentatif. Ce sont ces valeurs qui expliquent la différence de sens entre un WOULD dit fréquentatif et USED TO ou un simple prétérite. Une dernière preuve avancée par J. Bouscaren et al de l’appartenance du WOULD dit fréquentatif au système des modaux est sa similitude de fonctionnement avec le WOULD de commentaire.

Une réflexion personnelle approfondie sur les divers emplois de WOULD, la comparaison des thèses avancées par J. Bouscaren et al avec celles d’autres grammairiens et la confrontation de ces thèses avec des exemples d’utilisation de WOULD tirés principalement de la littérature et de la presse de langue anglaise ont constitué la base de notre étude de l’article de J. Bouscaren et al. Les conclusions de ce travail permettront d’expliquer cet article puis de porter sur lui un regard critique. Tout d’abord, on analysera les deux constituants de WOULD que sont WILL et -ED. Il est en effet envisageable que, WOULD étant la réunion de ces deux morphèmes, ses valeurs découleront de celles de ces deux éléments. Il sera fait appel aux travaux de plusieurs grammairiens, comme Haegeman, qui se sont amplement penchés sur WILL et le prétérite, tandis que J. Bouscaren et al ne les évoquent que rapidement. On utilisera ensuite cette analyse pour dégager les valeurs des WOULD conditionnel et modaux (prédiction et volonté). On discutera du fondement de l'emploi du terme "conditionnel" à partir d’une remarque de Michel Paillard qui est à l’origine d’une étude profonde sur WOULD et qui conteste cette dénomination. On en viendra ensuite naturellement à l'étude du WOULD dit fréquentatif ; il s’agira tout d'abord de préciser ce qu'est l'aspect fréquentatif dans le révolu (ce que ne font pas J. Bouscaren et al), à partir de l'analyse de M. Paillard. Puis, une fois dégagées les valeurs de WOULD, on les confrontera à celles de USED TO qui, de prime abord seulement, semble avoir un contexte d'utilisation similaire. On verra ensuite en détails, alors que J. Bouscaren et al ne font que les énumérer, les filtres qui peuvent agir sur WOULD. Pour terminer, on se penchera sur le WOULD de commentaire qui, par bien des aspects, ressemble au WOULD fréquentatif.

On illustrera cette étude avec des exemples tirés de la presse et de la littérature de langue anglaise, replacés dans leur contexte au sein du corpus (Dans certains cas, on s’appuiera toutefois sur des exemples tirés de grammaires d’usage courant : mention en sera alors faite).

Les termes linguistiques seront définis dans le glossaire, avec l’aide de dictionnaires de linguistique choisis pour leur clarté.

1. LES DEUX CONSTITUANTS DE WOULD

WOULD est constitué des deux morphèmes WILL et -ED. Chacun de ces deux constituants possède une ou plusieurs significations propres et la conjonction de ces significations contribue à la formation des valeurs du modal WOULD. Il semble dès lors enrichissant d'étudier les valeurs de ces morphèmes, ce qui n'est réalisé que très succinctement dans l'article de J. Bouscaren et al.

1.1 WILL

1.1.1 L'auxiliaire temporel

Pour dégager la valeur centrale de WOULD, il semble fondamental de cerner tout d'abord celle de WILL. Pour cela, on confrontera les notions que l’on communique aux apprenants débutants avec les remarques de plusieurs grammairiens qui ont étudié ce modal.

Au début de l'apprentissage de la langue, WILL est présenté comme l'auxiliaire du futur. Partant, on peut être amené à penser que la signification principale de WILL est d'exprimer le futur. Toutefois, plusieurs arguments peuvent être avancés à l’encontre de cette interprétation.

Un premier argument nous est fourni par L. Haegeman (1983, p.102) en ces termes :
"An objection raised against introducing the label "future tense" for the WILL paradigm is strictly formal and points to the fact that while present and past tenses are formed by inflection, the so-called future tense consists of an auxiliary and the infinitive of a lexical verb."

C’est ici le problème de la forme du futur qui est soulevé. On trouve en effet WILL + base verbale à chaque personne, ce qui présente une similarité avec l'utilisation des modaux, mais ce qui s’avère plutôt éloigné de la conjugaison du présent ou du prétérite. Par conséquent, il est peu convaincant d’affirmer que WILL + base verbale est un temps.

En second lieu, il convient de noter que, bien souvent, des phrases contenant WILL peuvent être remplacées par des tournures n’impliquant pas une idée d’avenir. Ainsi dans ces exemples tirés de L. Haegeman (1983, p.104) :

Will you help me ?
peut devenir :
Are you willing to help me ?

I won't do as you tell me
peut être paraphrasé par :
I don't want to do as you tell me.

Par conséquent, WILL n'exprime pas exclusivement l'idée d'avenir.

En dernier lieu, WILL ne constitue pas le seul moyen de traduire une idée d'avenir. Une situation à venir peut en effet être exprimée par diverses formes verbales : shall, be going to, be about to, ... WILL, de plus, ne rend pas automatiquement l'avenir à lui seul ; on doit, en règle générale, l’accompagner de repères temporels. On peut illustrer cet état de fait par ces deux exemples :

I will call upon her tomorrow and take my children. [1]
Cet énoncé est correct.

* It will rain.
Sans un contexte explicite, cet énoncé est peu acceptable.

Il est à noter que ces repères temporels peuvent être présents assez loin dans le contexte ou encore n’être que sous-entendus :
Kill them all, God will regognize his own. [2]
Aucun repère temporel n’apparaît dans cet énoncé ; le repère est sous-entendu par l’énonciateur. On peut l’exprimer sous la forme : « au jour du jugement dernier ».
On comprend donc que WILL peut prendre une valeur temporelle même si aucun repère n’est présent dans l’énoncé.

Ainsi, même si WILL est d'abord présenté aux apprenants débutants comme l'auxiliaire du futur, il ne s’agit pas là de sa valeur principale. Pour les grammairiens, la valeur modale est prépon-dérante. Ehrman (1966, P.74) la présente ainsi :
« The basic meaning of WILL is "the occurrence of the prediction is guaranteed."»

Et pour Anderson (1971, p.98), le futur n'est qu'un dérivé de cette valeur : « The future time relation associated with WILL is the result of the presence of contextual elements (especially future time adverbs) with prediction-WILL which as such is indifferent as to time. »

Cette phrase résume bien l’idée selon laquelle WILL ne peut être considéré comme un auxiliaire de temps servant à exprimer des situations à venir. En réalité, la signification temporelle ne dérive des valeurs modales que généralement grâce à des repères temporels.

Il n'a été jusqu’ici question que de la valeur de prédiction pour mettre en évidence la non-pertinence de l'association entre le futur et WILL, mais ce modal possède également d'autres valeurs.

1.1.2 Les valeurs modales de WILL

On peut dégager deux types de relation mis en oeuvre par ce modal. Ils sont évoqués par J. Bouscaren et al et il convient de les expliquer et de les illustrer.

La relation sujet/prédicat :

L'énonciateur indique que la réalisation du procès ne dépend que du sujet de l'énoncé. WILL exprime alors une idée de volonté, de bonne volonté et, d'une manière un peu atténuée, de caractéristique. Plusieurs facteurs déterminent ceci : sujet animé ou non, verbe d'état ou de processus. Il est en effet évident qu'un sujet non animé ne peut être doué de volonté ; dans ce cas, il faut s'orienter vers une valeur de caractéristique. De même, on comprend aisément qu'il est difficile de parler de volonté avec les verbes d'état. On peut ajouter à ces deux facteurs, bien que J. Bouscaren et al ne le mentionnent pas, l'importance du contexte situationnel, qui peut contribuer à faire la différence entre volonté et bonne volonté.

I will say no more about him. [7]
Ici, on a affaire à un sujet animé pourvu de volonté. La réalisation du procès "say no more about him" dépend uniquement de la volonté du sujet "I". On peut traduire par "Je ne veux plus rien dire à son propos."

Well, I believe, if you will excuse me... [10]
Le sujet de l'énoncé fait référence à un sujet animé doué de volonté. La tournure hypothétique ajoutée au sémantisme du verbe indique que l'on a affaire à une requête. D’une certaine manière, l’énonciateur demande au sujet de l’énoncé la permission de continuer sa démonstration. Le sujet de l'énonciation fait donc appel à la bonne volonté du sujet de l'énoncé.

Oil will float on water.
Cet énoncé n’est pas tiré de notre corpus mais apparaît dans de nombreux ouvrages de grammaire. Cette phrase pourrait être traduite par : "A chaque fois que l'on met de l'huile sur de l'eau, elle flotte". Cela n'a rien à voir avec une quelconque volonté du sujet de l'énoncé puisque celui-ci est inanimé. On peut dire que les faits sont têtus. Ainsi, l'huile flotte inévitablement sur l'eau. On parle alors de valeur de caractéristique. Ceci sera étudié plus amplement ultérieurement.

Pour illustrer l'importance du contexte, on fera appel à un exemple :
« Go back to your dinner, my girl », I said.
« I have patience with her, and I’ll fetch her in. » [11]

Ici, WILL fait référence à la valeur de bonne volonté plutôt qu'à celle de volonté. Cette constatation découle de ce que le sujet de l'énoncé indique au préalable que, contrairement à son interlocutrice, il a de la patience avec « her ». C’est pourquoi il « veut bien aller la chercher ». Le contexte situationnel est donc primordial pour faire pencher l’interprétation du côté de la bonne volonté.

La relation énonciateur/énoncé

L’énonciateur évalue les chances de réalisation du procès. WILL a donc une valeur de prédiction. Cette valeur est évidente dans l’exemple suivant, tiré de La grammaire anglaise de l’étudiant :

Mum is not here, she will be in the kitchen.
L’annonce n’est absolument pas péremptoire. L’énonciateur ne fait que prédire la présence de « Mum » dans la cuisine, sans en être vraiment certain. Il est à noter que « she will be in the kitchen » ne fait pas référence à un avenir. L’énonciateur réalise une prédiction sur l’actuel ; il prédit qu’au moment de l’énonciation, « Mum » est dans la cuisine.

La valeur de prédiction est peut-être un peu plus difficile à cerner dans un exemple tel que :

He will be with us within a fortnight. [3]
L’annonce semble ici péremptoire. Cependant, elle porte sur un avenir. On se trouve donc dans le domaine du non-certain : on ne peut savoir à coup sûr ce qui va se passer dans l’avenir. On se limite à une prédiction, sans certitudes quant à sa concrétisation.

Dans le cadre de la relation énonciateur/énoncé, que l’on se projette dans l’avenir ou que l’on demeure dans l’actuel, la valeur de WILL est la prédiction.

On pourrait également parler de visée, mais par le biais de la note n°6 page 6, J. Bouscaren et al précisent que l’emploi de ce terme est impossible, car il peut faire référence à « la projection dans l’avenir faite par l’énonciateur (...) [ou] par le sujet de l’énoncé. »

Whenever James goes over to see his daughter,
he will be able to tell her how we all are. [6]
On peut penser que c’est l’énonciateur qui fait cette affirmation. Cependant, on peut tout aussi bien imaginer que l’énonciateur ne fait que relayer la pensée ou des paroles du sujet de l’énoncé. On comprend donc que le terme de « visée » apporte son lot d’ambiguïtés. On lui préférera le terme de « prédiction ».

La valeur de prédiction semble proche de ce que l’on appelle communément le futur. Or, comme on vient de le démontrer, il est difficile d’associer cette valeur temporelle à WILL dans la mesure où la prédiction ne fait pas automatiquement appel à un avenir, et où WILL a également une valeur de volonté ou de caractéristique. Ce que l'on présente souvent comme un auxiliaire de temps doit donc plutôt être considéré comme un modal. On peut également affirmer que WILL a pour valeur principale la prédiction et que le futur ne constitue qu'une nuance ou connotation.

1.1.3 Mélanges des deux relations

« Les deux types de relation coexistent toujours » dans les énoncés, comme il est souligné dans l'article de J. Bouscaren et al en page 6. Il convient d'illustrer cette affirmation :

He will be with us within a fortnight. [3]

Dans cet exemple, l'énonciateur relaie la volonté du sujet de l'énoncé « he » de rendre visite à « us » (relation sujet/énoncé). D'autre part, l'énonciateur prédit que le procès sera réalisé dans un délai de quinze jours (relation énonciateur/énoncé).

Parfois, il peut sembler difficile de dégager les deux valeurs. Bien que J. Bouscaren et al n’évoquent pas le phénomène de filtres dans la partie réservée à WILL de notre article de référence, il semble important de l'expliciter dès maintenant.

Mum is not here, she will be in the kitchen.
Alors que la valeur de prédiction est facilement appréhendable, il est moins aisé de cerner la relation sujet/énoncé. La raison en est qu’elle est étroitement liée à la prédiction. En effet, l’énonciateur fonde sa prédiction sur son observation du comportement du sujet dans des situations identiques. En d’autres termes, il se fonde sur une caractéristique du sujet (relation sujet/énoncé). C’est parce que « Mum » a la caractéristique d’être souvent dans la cuisine que l’énonciateur peut faire une prédiction. Ce lien étroit entre les deux relations a pour conséquence de masquer la valeur de caractéristique.

Ainsi, il arrive que, bien que les deux valeurs soient présentes, l’une des deux semble plus ou moins masquée ; en d'autres termes, un filtre ne laisse passer qu'une des valeurs. Plusieurs éléments peuvent jouer le rôle de filtre : contexte, sémantisme des verbes, négation, interrogation, aspect (be-ing, have-en), ...

Le phénomène de filtres sera plus amplement développé au moment de l'étude de WOULD. On peut néanmoins en donner un exemple :
Ah ! You will never guess. You (to Emma),
I am certain will never guess. I will tell you. [8]
Le contexte met en lumière la valeur de volonté. En effet, le sujet de l’énoncé a excité la curiosité de ses interlocuteurs et veut devenir le centre de toutes les attentions en dévoilant un secret. Par conséquent, ici, la valeur de volonté masque celle de prédiction, qui demeure néanmoins toujours présente. L’énonciateur, qui est ici également le sujet de l’énoncé, prédit qu’il réalisera le procès dans un avenir plus ou moins proche. Mais c’est bien la valeur de volonté qui est prépondérante. La présence de WILL à la place de SHALL à la première personne du singulier en est la meilleure preuve. La réalisation du procès ne dépend que du sujet de l’énoncé. C’est le contexte qui filtre cette valeur de volonté.

Grâce aux filtres, WILL peut devenir un simple futur, ou se teinter d'une forte coloration modale.

1.1.4. Une autre répartition

WILL, comme on vient de le voir, met en jeu deux types de relation, chacun exprimant une signification particulière de ce modal : prédiction et volonté. Cependant, il est à noter que d'autres grammairiens, tels Quirk dans A Grammar of Contemporary English (1974, p.55), proposent une autre répartition des valeurs de volonté et de prédiction, qui, de prime abord, va à l'encontre des propos de J. Bouscaren et al mais qui, finalement, confirme leurs conclusions en y apportant même des éclaircissements :
- willingness : Will you open the window?
- intention : I'll write as soon as I can.
- insistance : He will do it whatever you say.
- prediction :
spécific prediction : The game will be finished at five.
timeless prediction : Oil will float on water.
habitual prediction : He'll always talk for hours if you give him the chance.

On remarque que ce que Quirk désigne comme "timeless prediction" et "habitual prediction" correspond à ce que nous avons classé dans la relation sujet/énoncé sous la valeur caractéristique, c'est-à-dire plus proche de la volonté que de la prédiction, cette dernière relevant de la relation énonciateur/énoncé. La différence est compréhensible dans la mesure où si tel sujet possède telle caractéristique, cela signifie que son comportement et ses réactions sont toujours les mêmes dans une situation donnée et que, par conséquent, il est aisé de réaliser des prédictions quant à ce comportement. On voit donc que, dans certains cas, volonté et prédiction sont étroitement liées. Le découpage de Quirk confirme ainsi le fait que les deux types de relation sont toujours présents dans les énoncés contenant le modal WILL.

1.1.5. Un WILL à valeur fréquentative

On peut noter que l'« habitual prediction » et la « timeless prediction » de Quirk semblent dénoter un aspect itératif. J. Bous-caren et al ne font que citer cette utilisation de WILL, page 12, sans l’étudier. Une telle étude semble pourtant importante dans la mesure où l’on peut se demander si le WOULD dit fréquentatif n’est pas simplement le « passé » de ce WILL.

Timeless prediction :

Oil will float on water.
Les valeurs mises en oeuvre, volonté et prédiction, sont étroitement liées. L’énonciateur opère une prédiction en se fondant sur la connaissance qu’il a du sujet de l’énoncé grâce à l’observation de situations analogues. Il parcourt cette classe de situations (oil on water) et attribue une caractéristique au sujet de l’énoncé (oil floats on water). A partir de cette caractéristique, il opère une prédiction (oil will float on water).
Au lieu de considérer un sujet unique, il prend en compte une classe entière. Chaque occurrence de « oil » aura la même caractéristique. On se trouve donc face à un double parcours : celui de la classe des sujets et celui de la classe des situations. Chaque occurrence de la classe des sujets est mise abstraitement plusieurs fois dans la même situation ; le comportement de ces occurrences est toujours le même. Par conséquent, cette utilisation de WILL véhicule une signification atemporelle.

Habitual prediction :

He’ll talk for hours if you give him the chance
On retrouve exactement le même cheminement que précédemment. L’énonciateur construit une classe de situations dans laquelle le sujet de l’énoncé a toujours le même comportement. En se fondant sur la caractéristique de sujet de l’énoncé, il opère une prédiction.
On n’a plus affaire à une classe de sujets mais à un sujet unique.
Il est à noter que la valeur de volonté resurgit, de sorte que l’énoncé dénote un certain agacement ou une certaine ironie.

Dans ces deux utilisations de WILL, et surtout dans la seconde, on trouve de l’itération, les sujets de l’énoncé se comportant de manière identique dans des situations précises. Dès lors, on peut se demander si ce WILL est à l’origine du WOULD dit fréquentatif.

1.2 -ED

J. Bouscaren et al évoquent rapidement le prétérite en insistant sur la valeur de désactualisation et en énumérant simplement ses différentes utilisations. Il paraît nécessaire d'expliquer plus amplement la valeur fondamentale et de montrer qu'elle est présente dans les divers emplois du prétérite.

1.2.1 Valeur fondamentale

Un énoncé qui contient un verbe au prétérite ne renvoie pas forcément à une action qui s'est déroulée dans le révolu :

Poor Miss Taylor ! I wish she were here again. [12]

Même si cette phrase contient un prétérite, elle ne fait pas référence à une action passée. Par conséquent, il semble évident que la seule présence du prétérite n'instaure pas le révolu. Le moyen de savoir si l'on se trouve ou non dans du révolu consiste à se référer au contexte. Celui-ci peut être constitué par des repères temporels présents dans l'énoncé même, comme des adverbes ou des compléments de temps tels yesterday, in those days, ... Ils peuvent être présents dans les énoncés antérieurs et posés une fois pour toutes. Ils peuvent aussi être sous-entendus comme, par exemple, dans des énoncés faisant référence à des événements historiques.

Comme les exemples le montrent, il existe des prétérites qui n'ont pas de valeur temporelle : il s’agit du prétérite modal, qui apparaît majoritairement dans les énoncés hypothétiques. Mais tous les énoncés hypothétiques ne sont pas construits avec un prétérite, comme le montre cet exemple :
If you marry Smythe, he will die. [5]

On peut se demander quel est l'apport de -ed, c'est-à-dire quelle serait la différence entre (nous créons l’énoncé contenant -ed) :
If you marry Smythe, he will die. [5]
et If you married Smythe, he would die.

L'approche intuitive de ces deux énoncés laisse à penser que l'énonciateur considère que l’hypothèse a plus de chances de se réaliser lorsqu’il la produit au présent. Le présent ancre l'hypothèse dans le monde réel.
Dans le second énoncé, l'énonciateur considère que les chances de réalisation de l’hypothèse sont réduites. Pour tout de même annoncer les conséquences de la réalisation de l’hypothèse, il fait appel au domaine de l'imaginaire. Le passage du présent au prétérite fait donc basculer l'énoncé du réel, de l'actuel à l'irréel, à l'imaginaire.

Le dénominateur commun entre les deux types de prétérite (modal et temporel) consiste en la rupture qu’ils présentent avec l'actuel, le présent. On peut donc dire que le prétérite possède une valeur de désactualisation. Ce que Palmer (1974, p.47) exprime d'une manière un peu différente :

"It has been suggested that the use of unreality and the past time use of the past tense are essentially the same : that the past tense is the "remote" tense, remote in time or in reality."
Il est peut-être un peu étrange de parler de "remoteness" à propos d'une notion telle que la réalité, mais cela traduit bien le fait qu'il n'existe aucune prise directe avec le moment présent et tout ce qu'il véhicule de concret, de réel.

1.2.2 Divers emplois

Le prétérite modal possède divers emplois, que J. Bouscaren et al ne font qu'énumérer et que l'on peut tenter d'expliquer avec plus ou moins de facilité grâce à divers exemples.

Les phrases hypothétiques

If you really were mad, you would think you must be sane. [13]

On est dans le domaine de l'imaginaire. Palmer (1974, p.47) nomme ces phrases d'une manière significative « if-clauses of "unreal condition" ». Le prétérite a bien une valeur de désactualisation.

Souhaits ou affirmations du genre "it is time..."

I wish she were here again. [12]
Ce qui est souhaité n'est, par définition, pas encore arrivé et ne possède encore aucune réalité. Il y a bien rupture avec l'actuel et donc désactualisation.

"Tentative use" (politesse et requête)

And really, if you would allow me, (...) [13]

Il semble dans ce cas un peu plus difficile d'expliquer la présence du prétérite modal. Il rend l'énoncé moins agressif qu'au présent. L'énonciateur ne situe pas sa demande dans l'actuel ; il la présente sans la présenter réellement. L’interlocuteur ne se trouve d’une certaine manière pas face à une demande, mais face à une requête adoucie.

Indirection du discours

Dans leur article, J. Bouscaren et al placent l'indirection du discours sur le même plan que l'hypothétique et les atténuations d'assertions, ce qui laisse à penser que le discours indirect fait appel à un prétérite modal.

He said Sheffield was where his heart and soul were. [14]

L'explication semble ici assez difficile à trouver. On peut cependant avancer une hypothèse. Ce n'est pas l'énoncé exact qui est rapporté puisqu'il a été formulé originellement au présent et à la première personne. En d'autres termes, ce ne sont pas les paroles réelles qui ont reprises dans le discours indirect, d'où la présence du prétérite modal à valeur désactualisante.

WOULD n'est-il que le prétérite de WILL ? En garde-t-il toutes les valeurs ? Le passage au prétérite crée-t-il d'autres valeurs ? Il s’agit de tenter d’apporter des réponses à ces questions en parcourant les différents contextes d'utilisation de WOULD décrits par J. Bouscaren et al.

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